Construite sous l’appellation de « librairie » à l’initiative du doyen Jacques de la Viefville en 1506, la bibliothèque du chapitre, proche de Notre-Dame de Noyon dans l’Oise, fut créée par et pour les chanoines au service de la cathédrale. Il s’agit du plus ancien édifice de France qui ait conservé sa vocation initiale de bibliothèque. Elle abrite quelque 3 000 volumes dont les plus anciens datent du milieu du XVe siècle. Aucun des livres qui composaient la collection initiale des chanoines ne subsiste aujourd’hui.
Le 21/05/2020 à 09:25 par Auteur invité
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21/05/2020 à 09:25
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Les bibliothèques médiévales sont rares et celle-ci, qui a traversé le temps au cœur d’un quartier cathédral remarquable, force l’admiration. Le bâtiment rectangulaire à pans de bois mesure 23 mètres de long sur 5 mètres de large. Il repose sur un rez-de-chaussée constitué de piliers également en bois. Ce matériau, issu des forêts alentour, restait abordable pour les chanoines dont les moyens étaient limités. À l’origine, l’édifice communiquait avec la salle du trésor de la cathédrale. Ses grands côtés, est et ouest, étaient alors percés de hautes fenêtres.
Au début du XVIe siècle, on ne disposait pas encore les collections d’une bibliothèque sur des rayonnages. Des pupitres inclinés étaient plus vraisemblablement placés de part et d’autre de l’allée centrale, sous les fenêtres afin que le lecteur profite de la lumière. La conservation des livres à l’étage permettait de les préserver de l’humidité. Tous les ouvrages de la bibliothèque proviennent de donateurs, souvent des ecclésiastiques. Un catalogue de 1220 fait état d’une collection de 19 manuscrits en 45 volumes. Lors de la Révolution française, les chanoines estimeront leur fonds à 5 000 ouvrages imprimés et 200 manuscrits.
L’enrichissement des collections qui accompagne l’essor de l’imprimerie nécessite d’importants travaux dès 1675. Les pupitres sont remplacés par des rayonnages qui couvrent tous les murs. Les baies de la façade ouest sont bouchées. Un escalier intérieur est installé le long du pignon nord reconstruit en pierre de taille.
Entre les rangées de poteaux du rez-de-chaussée, un mur est créé pour soutenir le plancher de l’étage. À la Révolution, les écussons qui ornent le haut des piliers sont bûchés, mais l’édifice reste debout. En 1832, la bibliothèque du chapitre, en proie aux rongeurs, aux vols et aux intempéries, devient bibliothèque municipale. Ses collections restent propriété de l’État. Elle est classée au titre des monuments historiques en 1889. À la fin du XIXe siècle, l’accès par la cathédrale est supprimé et le rez-de-chaussée muré (pour quelques décennies).
La Première Guerre mondiale est un désastre pour la ville de Noyon. En 1918, elle est détruite à 80 % par les bombardements. La bibliothèque du chapitre est éventrée par le souffle des obus. « Elle est restée longtemps à ciel ouvert, explique Martine Le Goff, directrice de la médiathèque du Chevalet. Avec des livres sur le sol, protégés par une bâche. C’était un spectacle de désolation. » Il faut attendre 1928 pour que la couverture soit restaurée. D’autres travaux vont suivre en 1938-1940 afin d’assurer la stabilité de l’édifice. Entrepris dans l’urgence, ils dénaturent certains aspects intérieurs de la bibliothèque. Celle-ci est fermée au public à partir de 1968. En 2004, la Ville de Noyon fait installer des alarmes anti-incendie et anti-intrusion.
Le dernier catalogage établi en 1954 par Cécile Giteau, conservatrice des bibliothèques, recense 3 369 volumes (2 591 titres) et une cinquantaine de manuscrits des XVIIe et XVIIIe siècles.
La bibliothèque du chapitre possède un fonds important d’ouvrages liturgiques (missels, bréviaires…) ou de théologie. Parmi eux, de nombreux livres de controverse consacrés aux querelles religieuses entre catholiques, jansénistes et calvinistes. Une édition originale des Provinciales (1656) de Blaise Pascal par exemple, ou les œuvres de Jean Calvin (1509-1564). Le théologien initiateur de la Réforme protestante est né à Noyon où un musée lui est dédié. Gérard Cauvin, son père, était administrateur des biens du chapitre. Il destinait d’ailleurs son fils à la prêtrise avant que ses relations avec les chanoines ne se dégradent.
Au sein de la bibliothèque se trouve un ensemble assez disparate d’écrits profanes : livres de rhétorique, d’histoire, manuels pratiques et ouvrages techniques (agriculture, chimie…). Les œuvres de grands penseurs tels que Platon, Tite-Live ou Érasme sont aussi représentées. Une édition des Essais de Montaigne datée de 1635 est la plus intéressante. Imprimée chez Jean Camusat à Paris, elle est dédiée au Cardinal de Richelieu et préfacée par Mademoiselle de Gournay. L’auteur y apparaît en buste dans un médaillon avec sa devise « Que scay-je ».
Quatre incunables datés de 1481, 1482, 1484 et 1497 sont conservés à la bibliothèque du Chapitre. Originaires de Mantoue, Bâle, Nuremberg et Lyon, ils ne valent pas le fleuron des collections : un très rare Recueil de motets, messes et magnificats (1534-1540) édité par Pierre Attaingnant, imprimeur-libraire originaire de Douai installé rue de la Harpe, à Paris. Il s’agit d’une donation de Paul Penon, chanoine de la cathédrale mort en 1689. Les motets sont des compositions musicales vocales, avec ou sans accompagnement instrumental, apparues vers le XIIIe siècle. Le précieux recueil comprend douze livres de motets, deux livres de magnificats et trois livres de messes écrits par les meilleurs compositeurs de l’époque.
Autre joyau abrité un temps par la bibliothèque : l’évangéliaire de Morienval, manuscrit carolingien du IXe siècle réalisé à l’abbaye de Hautvillers dans la vallée de la Marne et conservé à l’abbaye de Morienval (Oise) à partir du XIIe siècle. Ses enluminures sont caractéristiques de l’école de Reims. Sa reliure-reliquaire en bois du Xe siècle est exceptionnelle. Elle est décorée de bronze doré et de corne. Le Christ y est représenté sur une plaque d’ivoire. Acquis par la fabrique de la cathédrale de Noyon en 1868, l’évangéliaire est inscrit à l’inventaire des monuments historiques en 1899, puis placé sous la responsabilité de l’État en 1905. Le conseil municipal de Noyon l’intègre à la bibliothèque du chapitre en 1956. Des travaux d’aménagement sont réalisés pour le présenter dignement. En 1975, il quitte la bibliothèque pour l’hôtel de ville où il est toujours conservé et régulièrement exposé au public.
Le manque de soin, les bombardements de 1918 ou les déménagements lors des travaux ont porté préjudice aux collections de la « librairie » des chanoines. « La bibliothèque a été ouverte au public pendant une longue période sans précaution, déplore Martine Le Goff. Certains ouvrages ont disparu. Des Allemands ont pu en emporter après la guerre. Il y a quelques années, une femme m’a renvoyé un livre trouvé chez son père à son décès. »
La bibliothécaire et son équipe s’attachent à la conservation des ouvrages et des lieux. « Nous allons vérifier la température et l’hygrométrie deux fois par semaine. En 2015, nous avons fait réaliser un nettoyage complet par une société spécialisée, ce qui a donné un coup d’éclat aux reliures. »
Les visites de la bibliothèque du chapitre sont possibles lors de rendez-vous comme le traditionnel marché aux fruits rouges ou les Journées européennes du patrimoine. À cette occasion, des expositions à thème peuvent être proposées. Il y en a déjà eu sur la reliure, l’agriculture, la médecine... Les Motets d'Attaingnant et l’Évangéliaire de Morienval sont en outre visibles sur l’Armarium, la bibliothèque numérique du patrimoine écrit, graphique et littéraire des Hauts-de-France.
Labellisée Ville d’Art et d’Histoire depuis 1998, Noyon est dotée d’un patrimoine inestimable mais fragile. « Les élus ont bien conscience que la bibliothèque du chapitre est un bâtiment unique, précieux, qui a besoin d’être restauré, souligne Martine Le Goff, mais nous manquons de moyens. » Il est vrai que pour une ville qui compte à peine 14 000 habitants, entretenir de tels trésors légués par l’Histoire relève de la gageure.
1 place Corbault, 60400 Noyon
www.ville-noyon.fr
2 Commentaires
Fred601973
02/07/2021 à 09:03
Bonjour,
Petite précision, l’évangéliaire de Morienval n'est pas à la bibliothèque du chapitre mais dans un salon de l’hôtel de ville de Noyon.
Bien cordialement
FP
Philippe Fritsch
25/11/2022 à 22:16
À l'occasion d'une prochaine visite à Noyon, je découvre l'existence de la bibliothèque alors que je ne l'attendais pas, sachant les désastres causés par la Guerre de Quatorze. Quel bonheur d'apprendre qu'elle recèle malgré cela un exemplaire du fameux recueil par Pierre Attaignant des motets, messes et magnificats. Le musicien que je suis se ferait à l'occasion un plaisir de le voir.